Je me sentais très proche de mon père; une grande affection nous unissait et j'avais pour lui beaucoup d'admiration. Je vous dirai ce que j'aimais le plus en lui: sa bonté, sa modération, sons sens de l'honneur, son respect de la personne humaine, sa liberté de pensée, sa tolérance, ou encore son exigence morale, sa simplicité, son merveilleux équilibre, équilibre qui lui permettait de surmonter avec aisance et sérénité les difficultés de la vie.
On a souvent évoqué ses gouts simples. C'est vrai qu'il était la simplicité même. Il n'appréciait ni les honneurs ni le cérémonial auquel il était souvent astreint; il les subissait comme un devoir inhérent à sa charge. Il vivait sans apparat à Laeken, et il vécut plus simplement encore avec sa famille à La Panne, pendant la Première Guerre mondiale.
Il était authentique et vrai, et tous les faux semblants l'irritaient. Il avait horreur de la vantardise ou la vanité, détestait... les flatteurs. Le vrai contact humain lui était toujours précieux. C'est pour cela qu'il aimait s'entretenir avec son peuple, et lorsqu'on ne le reconnaissait pas, il n'en était que plus heureux. C'est pour cela qu'il aimait les guides qui l'accompagnaient dans ses ascensions en montagne. Avec eux, il était un alpiniste et rien d'autre. Ses heures de montagne auront été les plus heureuses de sa vie, après celles qu'il passait avec les siens.
Nous étions vraiment une famille. Mon père et ma mère ont été unis par un amour merveilleux... et cet amour n'a jamais faibli: un amour qui se passait de paroles ou de démonstrations, mais qui était la substance et le bonheur de leur vie. C'est une grande richesse pour des enfants de grandir auprès d'un couple qui n'a jamais cessé de donner l'image de l'union parfaite...
Mon affection pour mon père a éclairé ma jeunesse. Il s'occupait de nous, de nos jeux, de nos problèmes, de notre formation. Que de fois plus tard, lui et moi, n'avons-nous pas marché dans ce parc de Laeken que nous aimions tant! Nous parlions de mille choses. Cette heure, si attendue, était une de mes joies. Nous étions proches, et seuls...
Malgré les circonstances tragiques, mon père et ma mère ont été heureux pendant la guerre. Elle leur a en effet permis de donner le meilleur d'eux-même, lui dans les tranchées au milieu de ses soldats, elle auprès des blessés.
Mon père était essentiellement un homme de paix, qui fut acculé à la guerre. Il a toujours été convaincu qu'un pays doit être prêt à se défendre quand sa cause est juste. Je n'oublierai jamais une phrase qu'il m'a dite, surtout dans les circonstances où il me l'a dite. C'était en 1914, à Anvers, au moment où nous embarquions pour l'Angleterre. Il était grave, car la situation était tragique. Il pensait sans doute que nous nous quittions pour longtemps, peut-être pour toujours.
Il me dit alors: "Tu veilleras sur l'armée. Il faut que la Belgique ait toujours une bonne armée." C'était son ultime recommandation. J'avais douze ans, et je m'en suis toujours souvenu ...
Il est resté, durant toute la guerre, inébranlablement attaché à un principe: épargner le sang du soldat; c'est pourqui il a tenu à conserver le commandement intégral de l'armée belge et a condamné les folles et meurtrières offensives sur certains fronts...
La suite des événements prouva qu'il avait raison. Il rendit à la cause alliée d'immenses services, mais il le fit en respectant la vie et l'honneur de ses soldats, et en veillant à ce qu'aucun sacrifice inutile ne soit consenti.
Peut-être est-ce pour cela que mon père, devenu pour la Belgique et le monde, 'le Roi-Chevalier', a pu réassumer si normalement les tâches de la paix. La paix était son univers retrouvé. On sait avec quels scrupules et quelle ténacité il s'y consacra. Il réalisait combien est grande l'action d'un souverain attentif, aussi voyait-il fréquemment ses ministres et présidait-il leur Conseil chaque fois que des décisions importantes étaient en jeu; il y tenait beaucoup...
Il s'informait beaucoup. Très matinal, il trouvait le temps de lire journaux et revues, y compris la presse étrangère. Il annotait ses lectures. Il répondait aux lettres dont il estimait qu'elles méritaient une réponse personnelle. Il lisait et parlait plusieurs langues. Ses lectures ne se limitaient pas à la presse: il aimait se qualifier de 'grand lecturier', avec des curiosités diverses, de la littérature à la technique et aux sciences. Mon père était d'ailleurs un homme appliqué; il tenait à l'exactitude et à la précision...
Je voudrais parler encore de tant de choses! Son respect d'autrui était si fort qu'il redoutait influencer jusqu'à ses enfants. Chaque être humain devait être lui-même: c'est pourquoi il acceptait si mal les empressements de commande, et c'est pourquoi il avait peine à pardonner à ceux qui l'avaient trompé ou qui s'étaient servis de lui. C'est pourquoi aussi la loyauté a toujours eu tant de prix pour cet homme, qui avait fait d'elle la règle de sa vie...
Tel était mon père, dont le souvenir habite ma vie: un homme de foi profonde et qui détestait l'intolérance, un homme célèbre dans le monde entier et merveilleusement simple; un homme de devoir qui, jamais un instant, n'a oublié ceux qui lui étaient confiés, un grand timide et un grand courageux, un homme vrai qui n'a pas besoin de sa légende pour rester un souvenir fécond et un admirable exemple, un homme qui était aussi pour moi-et avant tout-mon père.
Here is my effort at a translation of this beautiful text (I apologize, it is not nearly as good as the original).
I felt very close to my father; a great affection united us and I admired him greatly. I will tell you what I loved most in him: his kindness, his moderation, his sense of honor, his respect of the human person, his freedom of thought, his tolerance; as well as his moral rigor, his simplicity, his wonderful balance, a balance which enabled him to overcome, with ease and serenity, the difficulties of life.
His simple tastes have often been mentioned. It is true that he was simplicity itself. He enjoyed neither the honors nor the ceremonies to which he was bound; he endured them as a duty of his charge. He lived simply at Laeken, and even more so, with his family at La Panne, during the First World War.
He was authentic and genuine, and all frauds irritated him. He had a horror of boasting and vanity, and detested... flatterers. True human contact was always precious to him. That is why he loved to talk with his people, and, when he went unrecognized, he was all the happier for it. It is also why he loved the guides who accompanied him on his climbs in the mountains. With them, he was an alpinist and no more. His hours in the mountains would be the happiest of his life, after those he spent with his family.
We really were a family. My father and my mother were united by a wonderful love... and this love never weakened: a love which needed no words and demonstrations, but which was the substance and the happiness of their life. It is a great privilege for children to grow up with a couple who never ceased to project the image of a perfect union...
My affection for my father was the light of my youth. He concerned himself with us, our games, our problems, our formation. How often did we walk together in the park at Laeken, which we loved so much! We used to talk of so many things. This moment, which I looked forward to so much, was one of my joys. We were close, and alone...
Despite the tragic circumstances, my father and my mother were happy during the war. It actually gave them the opportunity to give the best of themselves; my father, in the trenches with his soldiers, my mother, with the wounded.
My father was fundamentally a man of peace, who was forced into war. He was always convinced that a country must be ready to defend itself, if its cause were just. I will never forget something he said to me, and, above all, the circumstances under which he said it to me. It was in 1914, in Antwerp, when we were boarding the ship for England. He was serious, for the situation was tragic. He was thinking, no doubt, that we were parting for a long time, perhaps forever.
He said to me, then: "You will look after the army. Belgium must always have a good army." It was his last piece of advice. I was twelve years old, and I have always remembered it...
Throughout the war, he remained unshakably attached to a principle: that of sparing the blood of his soldiers. That is why he insisted on retaining the unique command of the Belgian army and why he condemned the mad and murderous offensives on certain fronts...
Events proved him right. He rendered immense services to the Allied cause, but he did it while respecting the life and honor of his soldiers, and while taking care that no futile sacrifice be permitted.
Perhaps, it is for this reason, that my father, who had become, for Belgium and the world, the "Knight-King," was able to return, so normally, to the tasks of peace. Peace was his world, restored to him. We know, with what scrupulousness, and with what tenacity, he consecrated himself to his task. He realized how great is the action of an attentive sovereign, and he saw his ministers frequently, and presided at their Council every time important decisions were at stake: he insisted on this...
He took tremendous care to keep himself informed. Early in the morning, he found the time to read journals and reviews, including the foreign press. He made notes as he read. He answered letters which, he considered, merited a personal reply. He read and spoke several languages. His readings were not limited to the press: he liked to categorize himself as a 'great reader', with many different interests, from literature to technology to the sciences. My father was also very painstaking; he insisted on accuracy and precision...
I would like to say so much more! His respect for others was so great that he hesitated to influence even his own children. Every human being must be himself: that is why he disliked servility to orders, and that is why he found it difficult to forgive those who had deceived him or who had taken advantage of him. That is also why loyalty was so important to this man, who made it the rule of his life...
Such was my father, whose memory dwells in my life: a man of deep faith, yet who hated intolerance; a man who was famous throughout the world, yet wonderfully simple; a man of duty who never, for a moment, forgot those who had been entrusted to him; very timid, yet very courageous; a man who was genuine, and who needs no legend in order to remain a fruitful memory and an admirable example, a man who was also, for me - and above all- my father.
(Taken from the transcription of the interview recorded by Rémy in Le 18e jour: la tragédie de Léopold III, roi des Belges, 1976, pp. 28-35)
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